lundi 4 mars 2013

Chronique en retard : Tree - Suday School

Etant donné que je compte parler dans les temps qui suivent d'une mixtape que j'attends particulièrement, je me suis dit que j'allais chroniquer celle qui la précède histoire de vous introduire à l'artiste, bien que celle ci date de 2012. Le but st finalement moins de donner véritablement un avis sur le projet que de faire connaitre un peu le bonhomme. Ca ne peut pas faire de mal.
Here it is :

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Depuis quelques temps, une nouvelle scène locale à imprimé sa marque sur le Hip Hop américain, provoquant l'enthousiasme, justifié ou non, des critiques musicaux outre atlantique. Cette scène, c'est celle de Chicago, la « Windy City », terre d'origine de mouvements musicaux noir-américains depuis toujours, mère de la house, de la juke et du footwork, et qui pourtant n'avait jusqu'à présent pas laissé sa marque sur cette musique emblématique qu'est le rap. C'est désormais chose faite car elle a frappé fort ces derniers temps en imposant Chicago comme le nouveau laboratoire du Gansta Rap, et ce à travers le mouvement « Drill Music », réinterprétation de la Trap d'Atlanta. Des artistes tels que Chief Keef, Fat Trel, ou King Louie ont définitivement mis Chi Town sur la carte, pour le meilleur et pour le pire.
Totalement lié à la violence et a la criminalité omniprésente qui règne dans les quartiers défavorisés de la ville d'Al Capone, cette nouvelle scène produit un rap clairement dur et matérialiste, qui manque parfois de recul. Personnellement, cela ne me gène pas plus que ça, étant donné la qualité globale de cette musique. Néanmoins, beaucoup on regretté l'incapacité de cette ville à produire autre chose que des rappeurs Gangsta, parlant de cocaïne, de meurtre et de chaînes en or à longueur de temps, et aimeraient avoir quelque chose avec un peu plus de substance à se mettre sous la dent.
Si vous faites partie de ceux ci, désolé pour vous, mais vous êtes très mal informé.



Une pléthore de nouveaux rappeurs sont apparus conjointement au mouvement Drill, contrebalançant son agressivité par une musique plus nuancée et réfléchie. Néanmoins, je me contenterai de vous présenter ici celui qui affole les rédactions de magazines musicaux américain depuis déjà quelque mois, mais fait figure d'illustre inconnu de ce coté ci de l'océan, c'est à dire Tremaine Johnson, 28 ans, AKA Tree.
Élevé dans les quartiers Nord de Chicago, le petit Tremaine fait connaissance très jeune avec ce qui deviendra ses deux principales sources d'inspiration : la religion et la rue. En effet, il fréquente l'église dès son plus jeune âge, sous l'égide de sa grand mère, et y apprend deux choses : à craindre Dieu, et à chanter. Par la suite, et alors qu'il fréquente toujours l'église, Tree se laisse tenter par l'argent facile et se retrouve a vendre du crack comme des milliers d'autres jeunes noirs américains. C'est sa famille qui le tirera plus ou moins de ce chemin glissant, mais le jeune homme s'est désormais frotté à la rue, et ne la quittera jamais vraiment.



Lorsqu'il décide de s'essayer, quelques années plus tard, à la production et au rap sous le surnom que sa famille lui donne depuis l'enfance, ces deux influences fondamentales structureront sa musique, se combinant pour former son style, à la fois derrière une MPC et derrière un micro. Il s'agit de ce qu'il appelle la « Soul Trap », alliance de rythmiques modernes, samples de soul, refrains chantés de sa très caractéristique voix chevrotante et récits d'une vie tumultueuse qu'il tente de rendre vertueuse du mieux qu'il peut. Dans le rap, le retour au source signifie bien souvent Boom Bap classique à la sauce New Yorkaise, ou a la rigueur, tendance Detroit. Ici, pas question de servir du réchauffé, mais bien de créer quelque chose de tout a fait nouveau et moderne, tout en faisant appel à son héritage culturel. C'est en soi assez rare pour être remarqué, mais là, je tire carrément mon chapeau : le résultat est probablement un des son les plus original et novateur que j'ai pu entendre depuis longtemps. A l'écoute de « Sunday School » on est frappé par l'inventivité qui se dégage des chansons, et surtout par l'énorme charge émotionnelle qu'elles véhiculent.
 Tree parle de cul sur du Gospel, et du paradis sur de gros kicks de 808, le matériel et le spirituel se mélangent inextricablement, et le tout dégage une maturité qui ne peut que laisser pantois.

Passé la première (et excellente) impression, on se prend à analyser les chansons pour tenter de comprendre comment une telle alchimie est possible. La réponse est simple : il est incroyablement doué et manipule les samples de Soul (Aretha Franklin ou Amy Winehouse par exemple) comme personne ne l'avait fait auparavant, les triturant et les découpant dans tout les sens, les articulant autour de kick puissants et d'hi hats en cascades. La musique de Tree est mélancolique, torturée, à la fois belle et triste, violente et revancharde et elle reflète a merveille le cheminement d'un homme dont l’éducation le prédestine à la vertu et dont l'environnement le pousse constamment au péché.




Qu'il rappe, chantonne, ou psalmodie, c'est cela encore que le rap de Tree reflète. En collant toujours à la prod, avec une vraie maîtrise de sa voix et de son débit, il explore aussi bien les thèmes classiques du rap street sans faire de concessions que des sujets plus introspectifs, et sa voix rocailleuse et unique est le parfait médium pour ces textes. Est atteint ici un équilibre que beaucoup de rappeurs semblent avoir perdu de vue : celui entre la forme et le fond.
Qu'on ne connaisse rien, ni de la vie de rue, ni de la Foi, on est malgré tout happé par les lyrics, qui sans trop s'éloigner des poncifs du genre parlent finalement autant de la nature humaine et de la vie que de drogues, d'argent ou de sexe. Chaque texte est une plongée dans les circonvolution du cerveau de l'artiste, et dans leur extension naturelle : la ville de Chicago. En direct de l'église ou d'un strip club, on découvre le quotidien d'une ville complexe, forte de son histoire mais plombée par une violence rampante, qui touche majoritairement les noirs pauvres et ou il est bien difficile de garder une lueur d'espoir en tête face au nombre ahurissant de meurtres commis chaque jour. Tout cela nous est montré sans complaisance ni moralisme, et encore une fois cet équilibre précaire mais salvateur qui semble être la marque de fabrique de Tree est atteint.
 Il est simple de choisir son camp, et de produire des textes soit ouvertement je-m'en-foutistes et décérébrés, soit moralisateurs et fleur bleue, mais Tree choisit lui la voie du milieu, se refusant aussi bien à édulcorer son propos qu'a le débiliser. Pour faire simple, on est ici face à une attitude "hardcore" au sens noble du terme



Pour toutes ces raisons, Sunday School est un petit chef d’œuvre, qui nous divertit autant qu'il nous touche et fait instantanément de son créateur un artiste a suivre. C'est aussi et surtout la première pierre d'un édifice qu'on espère voir Tree bâtir au plus vite. Celui çi, à la fois original, mature et talentueux, possède le potentiel pour nous offrir un des albums classiques des années 2010. Et peut être même plusieurs ? La réponse devrait pointer le bout de son nez d'ici peu, avec la sortie de Sunday School 2, avec comme featurings annoncés jusqu'ici Roc Marciano et Danny Brown. Ca se présente très bien.

A télécharger ici